Les Contes de Jacques Ferron
Même si je suis très friande des contes populaires de toutes sortes, je ne me suis immergée que récemment dans l’œuvre de Jacques Ferron. La nouvelle parution de ses Contes, réédités à l’occasion du 60e anniversaire des Éditions Hurtubise, a été pour moi l’occasion parfaite de découvrir quelques pépites du grand écrivain québécois aux mille historiettes.
Illustrés par l’artiste Marc Séguin, les 14 textes choisis rassemblent quelques-uns des « Contes du pays incertains », des « Contes anglais » et des « Contes inédits ». Entremêlant des scènes de la vie campagnarde et urbaine, des songes contemplatifs et des aventures fantastiques, ainsi que des petites fables piquantes qui rient de nos travers et de nos manies, ce recueil conserve son mystère, un petit « grain d’orge » qui pousse dans l’esprit du lecteur à la recherche de ses secrets.
La langue infatigable du conteur marie ici le tragique et le comique, la folie et la raison. Se glissant entre les histoires de curés, de médecins et de sages-femmes, se retrouvent une parodie du Petit Chaperon rouge – qui doit prendre garde à ce que la margarine apportée à sa mère-grand ne fonde pas en chemin –, une reprise moderne de l’Odyssée d’un vieux Ulysse torontois se rappelant ses aventures de jeunesse, ainsi que plusieurs créations purement ferronniennes qui brodent sur des thèmes et personnages chers aux contes populaires québécois, comme les figures du diable et du loup-garou.
Ce livre nous offre une belle incursion dans l’univers coloré de Jacques Ferron, qui a su réenchanté à sa façon le territoire.
« C’était dans cette bonne province de Gaspésie, si théâtrale, où du sol on a fait un tas rejeté en arrière, un tas de montagnes pour s’adosser et n’en pas croire ses yeux ; voici ce que l’on voit : le ciel descendre, la mer monter et ces deux plans à l’horizon se rencontrer, formant un angle variable ; dans cet angle l’espace trouver place et bâiller. »
Le lièvre d’Amérique de Mireille Gagné
Roman de survie et d’adaptation au rythme effréné du monde moderne, Le lièvre d’Amérique de Mireille Gagné nous entraine dans la quête de son personnage, qui cherche désespérément à « être enfin à la hauteur de l’horizon ».
Des sentiers dans la forêt de son enfance en passant par les trottoirs traversés quotidiennement pour se rendre au boulot, nous suivons l’héroïne, par petits bonds dans le temps et dans l’espace, au cours de quelques moments marquants de son adolescence insulaire, de ses longues journées de travail au bureau et des jours suivant son opération, censée lui permettre de décupler sa productivité et sa concentration.
Diane semble prise au piège dans sa propre routine, dépendante de son travail et de ses habitudes. Elle se trouve à un carrefour important de sa vie, confrontée à plusieurs symptômes de dépression.
« elle compte les calories absorbées pour chaque aliment et dépensées sur le vélo stationnaire les murs qui l’entourent les lumières dans son appartement son bureau les craques sur le trottoir […] elle compte pour combler le vide mais le malheur ne se dénombre pas »
Deux choix s’offrent à elle : continuer à travailler comme une machine sur le pilote automatique, ou fuir comme le lièvre pour retrouver son territoire et sa liberté?
Elle se rappelle encore les paroles d’un ami maintenant disparu, se demandant comment « ça fait en dedans, savoir qu’on est en voie de disparition ». Diane en est là, prenant doucement conscience de son égarement intérieur.
« Elle se demande comment elle a pu ne pas s’en apercevoir avant. Il n’y a aucune trace d’elle ici. Même dans le miroir, elle ne se reconnaît plus. Son visage est celui d’une autre. […] À l’intérieur, on dirait qu’il manque des morceaux. Ou plutôt semblent-ils emboîtés différemment, dans un désordre inextricable. Elle se sent décalée. Ses pieds, son corps, sa tête dérivent déjà. »
Diane devra apprendre à mieux habiter : mieux habiter les lieux, mieux habiter son corps. Se retrouver. S’apprivoiser comme une bête, en acceptant sa part d’indomptable.
Un excellent premier roman qui traque les pièges de l’obsession de la performance et du décalage avec sa nature profonde, tout en explorant notre rapport au monde et notre besoin d’appartenance
Poèmes de Patrice Desbiens
Parus chez L’Oie de Cravan, les plus récents Poèmes de Patrice Desbiens nous atteignent par leur forme tapuscrite, parcourue du rythme nerveux de l’écrivain qui martèle chaque mot, qui aligne chaque vers sur la page, et de la machine à écrire qui crache son encre, son sang. L’écriture s’active, s’enflamme, montre « l’étincelle du plomb sur le soufre de la page » où « chaque poème allume l’autre ».
Les derniers poèmes de Desbiens ont quelque chose de crépusculaire.
rappelez-vous le temps
rappelez-vous la forêt
les arbres tombés
les os brisésla maladie des étoiles
flotte sur le lacune idée de la noirceur
effleure l’âme
S’y côtoient les silhouettes de la mort et d’un vieux poète qui regarde le ciel et les nuits blanches en face. Qui dit la vieillesse, la maladie, le souvenir et l’amour « soudain comme une morsure de chat ».
Clôturant le recueil, ma suite préférée, « full mental jaquette », lucide et crue, rend justement toute la force de la poésie cachée du quotidien, comme un dernier rempart, une force qui nous habite jusqu’à la fin malgré les absurdités du monde.
la beauté de la lune
dans toutes
les fenêtres de l’hôpitalmais pas assez pour un poème
[…]toutes les lumières
allumées
dans cet hôpitalpeux pas trouver
personne pour
attacher ma jaquette
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