Deux nouvelles plumes au Lézard amoureux
En ce début de septembre, deux premiers recueils dirigés par Valérie Forgues paraissent au Lézard amoureux : Infantia d’Alex Thibodeau et Les jardins de linge sale de Laurence Gagné.
Ayant en commun une fouge de dire, leurs poèmes ont aussi quelque chose de charnel et d’éclaté qui leur donne un petit air de parenté.
Je vous livre ici mes impressions de lecture de ces nouvelles recrues littéraires.
Infantia : revisiter l’enfance et les mauvais sorts
Nos cœurs en équilibre sur une même rue nous embrassons l’adrénaline l’espoir de la chute les pieds tranchés par la corde du temps qui nous pousse à devenir malgré nous les personnages d’un décor nous tentons de trouver la fin
là où le papier
se soulève.
Nos sexes traversent les murs et se heurtent à l’aurore.
Gémissements en bouteille, murmures de Play-Doh.
Tu malaxes mes seins et les formes au gré des couleurs.
Nos échos fourmillent sous les meubles, chenilles inécloses.
En racontant ces événements troublants, l’ambiguïté des sentiments est palpable au fil des vers : la honte, l’amertume, l’amitié, la douleur, l’amour. On y dépeint quelque chose de pur, mais aussi de violent, qui dévore la narratrice : les attouchements et les effleurements prenant à l’occasion des allures de jeux interdits ou de relation amoureuse.
Dans Infantia, les ogres peuvent donc aussi être de petites filles. Peu de différences existent ici entre la sorcière et l’enfant jeté dans la marmite pour être mangé. Tout se mélange.
Les fées sont aussi les ogres dans mon histoire ta morsure s’étampe sur ma langue mon ventre pourrit la douleur me donne faim j’ai quelques noms sur le feu je tourne les pages
des paillettes
entre les dents.
Pour ma part, j’ai bien aimé la forme travaillée des poèmes où l’on sent la transformation de celle qui aiguise ses crocs, « recroquevillée autour d’un bestiaire dégueulasse ». Elle incise soigneusement son texte en détachant les derniers mots en retrait. Ainsi, on pourrait croire qu’elle arrive à reprendre le contrôle sur la finale de l’histoire, prête à revisiter les monstres cachés sous le lit et à briser l’infantia qui l’empêchait de parler.
Une lecture qui marque. Des mots durs en pastel. Comme si on tenait une grenade Fisher-Price entre ses mains.
Les jardins de linge sale : la poésie comme une éviction d’urgence
Lauréate du premier Prix de poésie Geneviève-Amyot en 2018, Laurence Gagné partage dans son premier livre des poèmes qui fuient les lieux communs.
Portées par une voix qui gueule à travers les murs jusqu’à les faire tomber, les trois parties du recueil, « La ville l’hiver », « Les jardins de linge sale » et « Les belles vacances », rapportent les déplacements et les déconstructions d’un « je » et d’un « tu » au cœur d’une géographie variable.
Ce qui m’a frappée dans les textes de Laurence Gagné, ce sont les images parfois déroutantes qui amalgament les corps et les espaces brisés :
tu te rappelles que les maisons abandonnent
celles qui restent
quand l’amour qui me crie croit pouvoir
crisser son camp
se cacher
dans les pièces ikea
ou ma mère sourit m’achète mon premier lit
qui craque que je brise plus tard
d’avoir emménagé trop vite
dans ta poitrine
j’ai laissé
des affaires en attente
des poursuites de chars
sur la table
la lumière cherche
à s’attacher entre les troubles
me vide et m’oublie
En somme, de belles découvertes au Lézard amoureux pour la rentrée!
Alex Thibodeau, Infantia, Le lézard amoureux, 2020.
Laurence Gagné, Les jardins de linge sale, Le lézard amoureux, 2020.
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