Camille, 12 ans, cancer ascendant cancer et condamnée à mort
En 2016, j’avais été séduite par le roman par nouvelles Je n’ai jamais embrassé Laure de Kiev Renaud, avec ses images de fillettes jouant aux prostituées et rêvant de s’accoucher l’une l’autre. Dans Pratique d’incendie, la plume de l’autrice n’a rien perdu de son enchantement. Elle investit une fois de plus le royaume de l’enfance qui aime jouer avec le feu en nous racontant l’histoire de Camille, une jeune fille de 12 ans, désespérée par sa banalité et rêvant de blessures impressionnantes qui lui permettraient d’élaborer des récits la rendant unique et remarquable. Ses seules fiertés jusqu’alors : être gauchère, avoir déjà eu ses règles et être allergique aux noix. Pour le reste, elle est convaincue qu’elle ne sort pas du lot.
Pourtant, Camille entretient secrètement une fascination particulière. Outre le fait qu’elle pratique la méthode Heimlich dans ses temps libres, elle est obsédée par la mort et ne peut s’empêcher de s’interroger sur la manière dont la grande faucheuse viendra la prendre. Pour ce faire, elle tient son journal de mort, comme d’autres jeunes filles de son âge tiennent la liste de leurs coups de cœur.
« S’il me faut mourir, d’accord, mais je veux savoir quand et, surtout, d’où viendra le danger – je commence une enquête et note tout dans mon journal. »
Elle épuise ainsi les trépas possibles : mourra-t-elle dans son sommeil, emportée par le courant, ou bien encore terrassée par la peur?
Par moment, Camille m’a un peu fait penser à la Javotte de Simon Boulerice (Leméac, 2012) qui imagine aussi son agonie avec moult détails, comparant les possibles fins tragiques des princesses de contes de fées d’aujourd’hui. Moins cynique, beaucoup plus sage et posée, la jeune Camille est un personnage qui pose un regard très réaliste, troublant, sur le moment où le concept abstrait de la mort devient une menace réelle, une fatalité dont on ne peut être ressuscitée grâce à un baiser, en se réveillant d’un long sommeil.
Une chose est sûre, on ne s’ennuie pas une minute avec Camille. On suit avec intérêt ses réflexions et les multiples plans d’évacuation qu’elle met en place pour s’endormir. Pour elle, la vie est une pratique où elle tente d’anticiper tous les dangers possibles, jusqu’à ce qu’elle soit confrontée à la réalité du deuil.
« Quand j’ai appris que la maladie d’Héloïse était mortelle, j’ai senti l’alarme d’incendie dans mon ventre. C’est Jeanne qui m’a hélée alors que je faisais du vélo dans la rue. Quelqu’un va peut-être mourir bientôt, si près de nous. J’ai suspendu mon coup de pédale comme un mot au tableau. »
Drôle, réfléchi et touchant, le roman de Kiev Renaud nous présente ce mince seuil au sortir de l’enfance, cet idyllique « avant » ; avant les films 13 ans et plus, avant les blessures qui ne guérissent plus, avant la retraite définitive des dernières poupées.
L’autrice décrit magnifiquement ce temps plein, condensé, de la prime jeunesse qui ressemble à une éternelle ronde lorsqu’elle aborde, par exemple, ses jeux avec son amie Jeanne :
« Nous vivons dans la même rue, Jeanne et moi, un sens unique que j’emprunte à rebours pour la rejoindre huit maisons plus loin. J’ai fait ce trajet à la course, en sautant, sur un seul pied, à reculons, à la marelle, en pleurant, les genoux éraflés, en culottes courtes, en bikini, une serviette sur les épaules, en manteau d’hiver, en costume de danse, un gâteau dans les mains ; avec des dents de lait sanglantes, fraîchement tombées, lovées au creux des poches. J’ai compté mes pas jusqu’à chez elle, trente petits ou quinze grands, mes enjambées raccourcissent à mesure que je grandis. L’été je suis le plus souvent pieds nus, la gravelle me pince la plante des pieds, je m’improvise fakir. Les maisons ont changé de couleur et de propriétaire, […] mais ma destination finale a toujours été le grenier de Jeanne, sa poussière et son coffre à déguisements. »
« Rien ne tient plus qu’un instant : ni la taille ni l’âge, ni les bleus ou les cicatrices, ni même le vernis à ongles. »
Partager cet article