Celles qui flambent et celles qui n’aiment pas la bicyclette
Cette semaine, je vous parle de deux œuvres – un recueil de poésie et des nouvelles « coquillages » – qui touchent différemment aux thèmes de l’enfance… et de la combustion spontanée.
Intrigué.e.s?
Parmi celles qui flambent de Noémie Roy
Incantation et filiation
Le recueil de poésie de Noémie Roy, Parmi celles qui flambent, fait miroiter dans ses vers, à la lumière des flammes, une mystérieuse collection de fleurs séchées, de petits fruits et de papillons sous verre. Des femmes fanées et des fillettes « aux ailes triturées » y allument de petits brasiers et s’emboucanent, pendant que les lecteurs et lectrices sont invités à suivre leur hypnotisant rituel. On pourrait y voir la célébration d’un lien, d’une filiation fantastique unissant les femmes disparues et leur « nouvelle généalogie » :
«même sans amulette
les mortes s’unissent aux vivantes
mains devant, mains derrière
nos bras forment un fil
il y a cent manières d’appartenir
la mienne ressemble au lichen »
Sur la piste des éclaireuses
Dans Parmi celles qui flambent, l’univers de la poétesse tourne bien entendu autour du feu, de ses multiples usages et pouvoirs. À l’image des flammes qui brûlent, réchauffent, purifient, assèchent cuisent ou consument, bref, transforment ce qu’elles touchent, la narratrice se métamorphose également à volonté, elle qui peut porter des « conifères sur [s]on dos » et qui « nidifie avec la cendre ».
J’ai aimé l’étrangeté et l’onirisme de ce recueil, où des dragons s’emparent du soleil et les tulipes mordent les doigts. Les images incandescentes y « vole[nt] en éclat », perdant leur ancrage. J’ai souvent eu l’impression que ces vers avaient été jetés avec fougue comme on lance des fagots dans le feu. Épousant la liberté des flammes qui dansent.
J’ai arpenté les poèmes librement, un peu comme s’il s’agissait de « forêts flottantes » m’invitant à une lecture flottante, me laissant guider par les signaux de fumée et les pistes laissées par « celles qui flambent » : les ancêtres, les anciennes, celles qui ont éclairé le chemin et qui continuent de l’éclairer grâce au savoir transmis. Celles qui nous habitent encore :
« les mourantes deviendront
plus qu’une clairièreje suis une lignée d’humaines
avec nos mains de lait
nous creusons loin
dans un châle
nous fabriquons mes épaules »
Les femmes que j’aime ne font pas de bicyclette d’Anthony Lacroix
Dans Les femmes que j’aime ne font pas de bicyclette, publié par Les éditions de la maison en feu, on découvre les pensées de Sam, un (grand) enfant perdu dans ses forêts intimes, très solitaire (en effet, même ses personnages inventés et amis imaginaires le quittent parfois, le renvoyant à sa solitude), maladroit dans ses mots autant que dans ses gestes.
L’auteur Anthony Lacroix utilise le terme « coquillages » pour identifier ces textes brefs, qui sonnent parfois comme des poèmes, mais qui possèdent l’acuité et la richesse descriptive de la prose. Ce sont de nouvelles « coquilles » protégeant un moment, une impression, un souvenir. Le narrateur y insère un grain de fiction, et laisse son imagination opérer.
Le voilà qui repart sur son motocross ou ses scénarios lui permettant de tuer le temps!
L’espion malgré lui
Commençant par des titres qu’on a envie de collectionner tellement ils sont beaux, chaque texte du recueil Les femmes que j’aime ne font pas de bicyclette évoque la solitude et l’ennui du personnage qui se tient toujours un peu à l’écart, se réfugiant dans la fiction : par des jeux d’espionnage, des références filmiques, de multiples rêveries, etc. Le narrateur a le don de décrire très minutieusement le réel – par exemple, la description détaillée d’un terrain de baseball (p. 27), ou encore celle de la mère qui ouvre une fenêtre (p.67) – en complétant ses observations par des histoires mentales qu’il se crée afin de palier sa propre inertie. Occupant souvent le rôle de simple témoin, de voisin curieux, de client anonyme, de joueur sur le banc, ou d’amoureux secret, il observe les scènes sans participer, et préfère parfois rêver à ceux qui l’entourent plutôt que de se confronter à la réalité, comme avec cette voisine à qui il invente des souvenirs avant même de l'avoir rencontrée :
« Elle regarde par la fenêtre.
Je n’arrive pas à m’imaginer ce qu’elle voit.
Je ne sais presque rien de ma voisine.
Son nom. Grâce au collant flétri sur sa boîte aux lettres : M. Huart.
Si elle m’invitait à souper, je lui avouerais tout.
La recette de poulet, son enfance à la campagne et les longues douches froides l’été. »
Savoir conjuguer au conditionnel est plus facile pour faire du motocross
Pour combler les silences, l’échec, l’oisiveté ou le vague à l’âme, le narrateur revient à ses jeux de rôle où il s’inventait une mission. Sa nouvelle mission : conserver l’ennui, le remettre en scène afin de s’en servir comme « moteur ». Pour contourner l’interdiction de conduire une moto, par exemple, le narrateur utilisera avantageusement le conditionnel, seul stratagème possible lui permettant de gagner la course.
« Ce soir d’août, personne ne comprendrait pas victoire.
Aucun garçon du village ne connaîtrait le principe de causalité entre la vitesse et l’adhérence du vent.
Si mes parents me laissaient avoir une motocross, je serais le plus rapide. »
Parfois, il prête également à d’autres personnages son don pour occuper sa solitude :
« À l’épicerie, dans la file d’attente, tu meurs par combustion spontanée.
Un tas de cendre dans un lieu public.
À peine une odeur de brûlé parmi les repas prévus de la semaine.
Ce n’est pas la première fois que tu y penses.
Tu as toujours eu ce talent : imaginer ta mort quand tu t’ennuies. »
Il s’agit d’un recueil très touchant, parfois drôle, parfois triste, qui nous place nous-mêmes dans la position de l’observateur-espion-lecteur du monde. Dans ces « coquillages » ce n’est pas la mer que l’on entend, mais quelqu’un qui l’observe attentivement, plongé dans ses vagues intérieures. Tendez l’oreille, vous ne serez pas déçu.e.s!
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Noémie Roy, Parmi celles qui flambent, Les Herbes rouges, 2021.
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