Les mirages de Riverbrooke
Que feriez-vous si vous ne pouviez plus vous fier à vos sens? S’il vous était soudainement impossible de distinguer la réalité de vos cauchemars ou de vos fantasmes?
C’est l’état de confusion qui habite la plupart des résidents de Riverbrooke, une ville de mirages où chacun a son squelette dans le placard, son « horla » personnel qui le hante.
Dans son premier recueil de nouvelles intitulé Servitude, l’autrice Raphaëlle B. Adam, une passionnée de littérature de l’imaginaire, donne la parole à une foule d’âmes angoissées et inquiètes : un psy aux prises avec des pensées obsédantes, une femme prisonnière d’une maison étrange, une libraire dont les livres disparaissent et reparaissent rien que pour elle, et bien plus encore. Ces personnages sont confrontés à des démons intérieurs qui les rendent étrangers à eux-mêmes, faisant basculer subtilement leur quotidien vers le fantastique.
Une ville sous la peau
Dès le prologue, on décrit ainsi Riverbrooke pour asseoir et préserver son aura de mystère :
« Riverbrooke. Un nom banal, rafistolé, pour une ville qui ne figure sur aucune carte. Un lieu où s’entremêlent l’évanescence des rires et celles des ombres, où le vent murmure ses histoires et où les vies se forgent dans les regards aliénés de ses habitants. Une ville qui peut prendre racine partout, et se montrer introuvable quand elle le souhaite. Elle est ici, parfois ailleurs. »
Au cœur de toutes les nouvelles, Riverbrooke revient toujours sans jamais être tout à fait la même. Bien des choses étranges s’y déroulent. À cheval entre deux mondes, c’est une ville qui s’incarne surtout dans les portraits tourmentés de ceux qui y vivent ou y séjournent.
Personnellement, j’aurais aimé en connaitre davantage sur ces lieux et retrouver plus de liens entre les nouvelles que le retour des noms des commerces et des entreprises. Bref, goûter davantage à l’étrangeté de la cité fictive de Riverbrooke. Peut-être l’autrice nous réserve-t-elle d’autres surprises pour un prochain recueil?
L'attraction des ténèbres
Paranoïa, insomnie, pulsion destructrice, apparition surnaturelle : les protagonistes de Servitude en sont tous à un point où ils ont l’impression de perdre la tête. Alors que la folie s’immisce doucement dans l’univers de certains, d’autres sont happés soudainement par un événement inexplicable.
Même si quelques-unes des nouvelles m’ont laissée sur ma faim, la nouvellière réussit à créer des atmosphères différentes et à décrire les malaises ressentis par les personnages à propos de leurs perceptions troublées et de leur décalage avec la réalité.
« Devant elle se trouvait un champ plongé dans des ténèbres bleutées, que seules les lueurs ponctuelles de lucioles parvenaient à transpercer. Les yeux agrandis par le tableau hypnotique, Sasha observa la danse indolente des insectes pendant quelques longues secondes ; leurs arabesques brouillaient son jugement. Lorsqu’elle parvint à détacher son regard du paysage onirique, elle sut que quelque chose clochait et elle s’agita nerveusement sur sa chaise. Comment était-elle arrivée-là? »
Ce petit quelque chose qui cloche. Ce détail qui soudain altère tout ce qui l’entoure. Ce doute qui s’empare de nos esprits et nous fait perdre nos points de repères. Le recueil Servitude en fait son point de départ dans les 17 nouvelles qu’il regroupe.
Si vous êtes fascinés par le fantastique, l’horreur et les fantômes qui n’en sont pas toujours, faites un tour du côté de Riverbrooke. Pour la trouver, suffit de fermer les yeux jusqu’à ce que le noir sous vos paupières vous raconte ses histoires.
Raphaëlle B. Adam, Servitude, Triptyque, coll. « Satellite », 2020.
Partager cet article