Verdunland : fantasme ta ville
Avec sa couverture psychédélique aux couleurs bonbon, je ne savais pas trop à quoi m’attendre en commençant Verdunland de Timothée-William Lapointe et Baron Marc-André Lévesque.
Les colocataires nous promettent une visite guidée d’une ville hallucinée, une ville magique, peut-être pas si loin du Neverland de J.M. BarrIe et du Saint-Élie-de-Caxton « légendifié » de Pellerin. S’y côtoient un géant en peine d’amour qui « kicke » des cabanons et une ogresse cultivant des oreilles.
Empruntant un style vraiment inusité, cette petite épopée loufoque et drolatique prend comme point de départ un refoulement d’égout qui se métamorphose en traversée d’une contrée utopique.
Assis là
déboulés sur nous-mêmes
a commencé à naître dans nos esprits
une nouvelle nécessité :
celle de créer un monde imaginaire
plaqué sur le nôtre
de magnifier par l’improbable
un monde qui en avait déjà fait trop entrer
et c’est ce monde que nous avons créé
cet été-là
avec de la marde plein l’arrière-cour
qu’on te propose de visiter aujourd’hui.
La flore et la faune verdunlaines défilent devant nos yeux ébahis.
Prochains arrêts : l’antiquaire concessionnaire folklorique, le Parc Mobile, le Roller Coaster Derby, le bar miniature, le dépanneur et autres points chauds étonnants.
Cette poésie déjantée, emplie de « fabuleries », fait appel à l’imaginaire du lecteur qui se laisse prendre au jeu et retrouve son cœur d’enfant devant ces attractions touristiques réinventées.
Alors improvise
et emballe dans tes valises
hallucinations et barbeaux et n’hésite pas
à apporter tout ce que tu as été
dans l’antérieur des ventres qui ont gargouillé avant toi
les soleils qui se sont couchés avant que tu ne te lèves
viens en traînant le sac des saisons sur ton dos
au fond il n’en tient qu’à toi
d’inventer l’eau chaude.
Verdunland, c’est une escapade sympathique dans un lieu chimérique où « ça arrive ça peut arriver ça va arriver tout est possible ». On s’attend presque à apercevoir la silhouette de Peter Pan s’envoler à l’évocation de tous les souvenirs heureux des habitants. J’ai particulièrement apprécié la simplicité et l’inventivité des images, pleines de « sparkles », qui se posent tendrement sur nos petits côtés givrés de Mini-Wheats. Une lecture divertissante qui nous accroche des étoiles dans les yeux.
Je finirai en citant ce passage ludique, simple et beau, qui donne une bonne idée du « paysage » déployé dans ce recueil de poésie :
les rues de Verdunland scintillent
et les enseignes de restaurants s’impriment
en jus de fruits dans les flaques d’eau
on se croirait dans un rêve à flot
un rêve de pluie rêvé par la pluie.Et ces rêves sont tellement beaux
qu’on les attend sur le balcon
en robe de chambre
avec un chat et un album de Cohen
qui grisonnent par la fenêtre
des pluies qui ne ressemblent pas à de la pluie
des pluies qui se pleuvent et s’épanchent sur les choses
avec minutie et attention
comme si chaque goutte de pluie
était un tortellini roulé avec soin
et puis glissé sur une toute petite plaque en or
avant d’être largué d’un avion
à une vitesse prudente.
Terres et forêts d’Andrew Forbes : « faire son foyer »
À quoi peut ressembler la ville où l’on a ancré toute sa vie une fois inondée? Peut-on retrouver facilement les lieux d’une époque révolue sans se perdre? Quels sont les signes permettant de savoir que l’on a trouvé l’endroit parfait pour s’établir et se sentir enfin chez soi?
Traduites par William S. Messier, les nouvelles composant le recueil Terres et forêts d’Andrew Forbes nous font parcourir des territoires vastes, traversés par des questions identitaires et des leçons de vie cruciales pour ses personnages, qu’on y aborde la difficulté de se remettre d’une rupture amoureuse, le deuil, le besoin de déménager, la lente progression d’une maladie, les souvenirs d’une enfance atypique, et plus encore. Dans chacune, des êtres cherchent leur chemin « jusqu’à [leur] propre définition de vie sauvage et d’abandon ».
Tout en fluidité, les textes de Forbes se démarquent par la minutie de ses descriptions, ainsi que par la finesse de ses observations. Il sait décrire le milieu insulaire comme le milieu forestier, le désert comme le chalet isolé au cœur de l’hiver, la ville comme la campagne. Certaines images laissent en nous quelques flambées qui éclairent nos zones d’obscurité, comme cette vision panoramique d’un homme survolant un feu de forêt :
Comme c’était fascinant et mortel et imprévisible, les avancées et les retraites gracieuses du feu, ses lignes tordues, ses déplacements comme sur la pointe des pieds, menaçant toujours de se libérer d’une contrainte.
La beauté n’a pas besoin de nous, pensait-[il]. Elle ne se plie pas à nos aveux ou à nos croyances. Elle nous survivra tous. Elle oubliera que nous avons même existé.
Dans le cours d’une vie d’amont en aval, de la source jusqu’à la grandeur infinie, il y d’innombrables tournants et changements de parcours. Une décision, ou une occasion ratée. La plupart sont inexplicables. C’est comme ça.
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