Dans leurs têtes et dans leurs regards
Dernièrement, j’ai lu deux recueils de la collection Hamac-Poésie. Il s’agit de deux projets qui s’articulent autour de pertes douloureuses, à la recherche d’un terrain neutre pour prendre le temps de panser leurs blessures.
Je vous livre ici brièvement mes impressions.
Dans sa tête poussait une plante
« tout est percé tout coule presque
et ne vaut rien
sauf le ring du dialogue
on s’y retrouve
annotant chaque soubresaut
vertige du cosmos
s’y perdant finalement
à notre décharge
ça brasse l’ordre du réveil
exige tant
que le summum du risque
est de prendre chacun la chance
à son cou »
Dans un langage surréaliste et chatoyant où les piñatas côtoient les grandes roues, le poète rejoue les vestiges du bonheur à deux avant que tout éclate.
Des images colorées qui « punchent » autant que les joutes oratoires, les menaces et les récriminations auxquelles se livrent les amoureux déchirés.
« Lorsque sa plus belle robe
pose ce regard
je lève un seul doigt
vers l’aurore de sa mythologie
et je crois cette éclipse
où la lune lui appartient encore
je néglige parfois à quel point on était proches
en fin d’après-midi elle absorbe mes restes
déchiquette le chignon des filles
dans mon attention vers autre part
on pourrait voir
chaque ange s’immoler
derrière sa bonne action »
Ces fenêtres où s’éclatent leurs yeux
« Marie Cidonie Dahlia
Coralie Janet Isabeau
Pénélope Shana Ève
Anémone Sophie Victoria
Natacha Paméla Lotita
Heidi Madisson Vanille
Justine Pipa Cyprine
Keiko Lilly Marie »
Voici des noms d’avatar. Des essences de fantasmes. Des fausses identités laissées derrière elles comme des oiseaux morts.
Dans « Ces fenêtres où s’éclatent leurs yeux », l’écrivaine pose un regard sans concession sur le monde de la cyberpornographie, mais aussi sur toutes les histoires d’abus derrière nos écrans et nos webcams.
Elle y raconte la fin des fééries et des contes, la peau des petits chaperons rouges appartenant désormais aux grands méchants loups de ce monde numérique.
« nos lèvres origamis vulgaires
nous nous muselons
masques de chiennes masques de guenons
souliers de vair chaperons rouges
fesses nues au clair de la lune
quand nos rires d’enfants traversent leurs couloirs
ils durcissent debout sur la moquette
et tombent dans nos reflets,
mais «que croyez-vous qu’aiment nos peaux?»
nous fermons les fenêtres en pleurant »
Un recueil qui s’interroge sur ce qui reste de ces femmes, une fois leurs reflets violés, leurs peaux vendues, leurs images photoshopées et formatées pour le désir des autres ayant rempli leur fonction de fantasme jetable.
Ces poèmes, écrits pour elles, cherchent pour ces filles de nouvelles « fenêtre[s] ouverte[s] par où fuir ».
*
Philippe Chagnon, Dans sa tête poussait une plante, Septentrion, coll. « Hamac-Poésie », 2021.
Anne Peyrouse, Ces fenêtres où s’éclatent leurs yeux, Septentrion, coll. « Hamac-Poésie », 2021.
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