Jaser au cœur de la houle et des chicoutais
Après Brasser le varech (2017, La Peuplade), Noémie Pomerleau-Cloutier nous revient avec La patience du lichen, qui paraîtra le 4 mars 2021. Elle qui est fascinée par les paysages côtiers, ce sont surtout les humains qui y habitent qu’elle défriche – et déchiffre – ici. Le recueil est composé de témoignages poétiques, de tranches de vie amassées de village en village, en suivant les chemins inachevés et les routes fluviales de la Côte-Nord.
Fait de va-et-vient, d’enracinement et d’errance, le projet de l’auteure est aussi une ode à la mémoire qu’on y déconfine.
J’ai séjourné dans chacune de ces communautés, j’ai emprunté le chemin de la mémoire des Coasters francophones, anglophones et innus. Je me suis assise là, sur leur sol, au creux de leurs vagues, dans leurs cuisines, pour écouter ces gens me raconter leurs vies plus saisissantes encore que les paysages de leur côte.
Là où le temps est large, je me suis ancrée, le temps d’une conversation, une enregistreuse captant toute la grandeur du territoire de l’intime. Aux confins du système routier, ces personnes découvertes, côtoyées, aimées, avec la valse de leurs ondoiements et de leurs amarrages, m’ont guidée vers la côte intérieure que je chercherai toute ma vie.
Dans La patience du lichen, les poèmes mettent en valeur les paroles des habitants de Kegaska, La Romaine, Chevery, Harrington Harbour, Aylmer Sound, Tête-à-la-Baleine, Mutton Bay, La Tabatière, Pakua Shipi, Saint-Augustin, Old Fort, St. Paul’s River, Middle Bay, Brador et Blanc-Sablon.
Les uns après les autres, les natifs, les exilés, comme ceux et celles qui multiplient les traversées, ils se livrent à cœur ouvert et, pour reprendre quelques images marquantes du recueil, Noémie Pomerleau-Cloutier recoud leurs récits, reprise et remet « les morceaux en place », comme une « catalogne » qu’elle tisse entre les différentes communautés de la Basse-Côte-Nord. Les frontières naturelles et les kilomètres de distance finissent presque par s’effacer au gré des rencontres.
pour retrouver la terre
vous avez pris vos mains
comme ancresensemble
mamuk
pour mieux garder
tshetshi min-kanauentamashk
le territoire vivant
natau-assi eshk tshethsi inniumakak
de force
j’ignore
ce que je viens chercherje n’ai jamais réussi
à poser mes pieds
le sol est toujours meubleles bouts du monde
où j’ai appris à fuirpeut-être
un coin de mousse
où me déposer
dans les voix
du territoirepeut-être
un mouillage
pour mon plexusje voudrais pouvoir comme eux
rester
Cet assemblage de témoignages devient comme une entreprise de sauvetage : une écriture qui permet de récupérer, de mettre à l’abri des souvenirs, des voix isolées qui auraient pu se perdre dans les vagues, des savoirs, des drames, des secrets et des traditions méconnues. À bord du Bella, Noémie Pomerleau-Cloutier réussit à nous partager sa fascination pour ce bout de pays et ses communautés, belles et résistantes comme le lichen qui y pousse.
En quelques mots : c’est beau, c’est doux, ça nous permet une lecture flottante, où l’on dérive d’histoire en histoire, de cœur à cœur.
Noémie Pomerleau-Cloutier, La patience du lichen, La Peuplade, 2021.
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