Renaître de ses cendres
Les univers féminins déployés dans Les îles Phoenix de Rosalie Lessard et Sestrales d’Andréane Frenette-Vallières investissent les décors changeants des côtes, des îles et des forêts, théâtre intemporel de disparitions et de renaissances.
Ces deux recueils bouillonnants contiennent beaucoup de fragilité, de colère, de peine, de solitude, mais aussi de complicité. Ils partagent également une interrogation commune : comment faire pour accepter le temps qui passe malgré tout ce qui nous brise.
Les îles Phoenix de Rosalie Lessard
« Nous n’avions pas de mots alors
pour parler de ce qui lui arrivait :
une mémoire assourdissante
qui s’infiltre
dans la petite musique des jours,
jusqu’à la noyer.Quand j’ai eu vingt-cinq ans,
ma mère m’a écrit des lettres
où elle racontait
les brûlures et noyades
qu’elle a longtemps tenues à distance
et qui ont ressurgi
avec ma naissance. »
Parmi les souvenirs d’électrochocs et de robe brûlée, la narratrice partage aussi les souffrances de Vera Jarach (une auteure ayant milité pour les Droits de l’homme et dont la fille, Franca, fut torturée et tuée sous la dictature) et invente un avenir possible à une Sylvia Plath qu’on aurait secourue de sa tentative de suicide.
Dans ce 4e recueil de Rosalie Lessard, l’écriture est empreinte d’une immense compassion, qui prend soin d’habiter « mots et visages » et qui rassemble « [c]es vies que même les généticiennes / et les archéologues / ne peuvent restituer, / et pour lesquelles il n’y a plus / qu’à lutter, ensemble, /pour mémoire. » Les îles Phoenix est un lieu de rémission pour les mots « déracinés par une violence », un abri protégé pour les volcans qui retardent leur éruption afin de se reconstruire, pour les survivantes qui renaissent de leurs cendres.
« Pendant plus de quinze ans,
le volcan émergeant
de cette enfance
dormira.Ma mère voudra croire
que c’est une île. »
Sestrales d’Andréane Frenette-Vallières
« Qui parle?
Quand j’ouvre la bouche
tu me traverses toute.Je deviens ma propre sœur. »
« À toi : un bouillon d’orignal;
du caribou et ses effluves de lichen; des bolets
grands comme nos visages;
des herbes pour les tisanes, de l’épilobe baignée
dans l’eau de la source;des choses simples, des choses vivantes. »
« Vivre ici me demande peu
c’est aisé
je le fais en respirant
sans m’épuiser.À chaque peine, chaque
désolation
je trouve un miracle. »
Les poèmes de Sestrales débordent du charme de ces petits riens qui nous aident à passer à travers chaque journée.
En conclusion, Rosalie Lessard et Andréane Frenette-Vallière, chacune à leur façon, tissent des liens avec l’Autre dans leur écriture. Chez l’une, on partage la douleur de la mère, et chez l’autre, celle d’une sœur : les poétesses se font les chantres accompagnant leurs compagnes blessées. Elles se rejoignent autour des thèmes de la peine et de la reconstruction intérieure, d’un espace pour habiter avec l’Autre, malgré les blessures.
« Ma sœur
je vis dehors avec toi. »
Rosalie Lessard, Les îles Phoenix, Noroît, 2020.
Andréane Frenette-Vallière, Sestrales, Noroît, 2020.
Partager cet article