Écrire, creuser le temps et l’intensité du blanc
J’ai attendu la première neige pour me glisser dans l’univers dense et feutré de Passer l’hiver, le nouveau recueil de Kateri Lemmens paru au Noroît. Eh bien, il a neigé, j’ai lu… et j’ai été comblée, la frénésie des flocons accompagnant les mots qui tombaient juste!
Bien abrités par les arbres floconneux et les chambres noires des illustrations de Romain Renard, ces poèmes de glace et de peaux de lièvres m’ont fait frissonner et m’ont donné chaud à la fois. La froide saison y est le lieu des confidences intimes, de réflexions sur la fragilité de l’existence, cristallisées au cœur de la poudrerie :
je t’écris d’une chambre de motel
au milieu du blizzard
des aiguilles dans la gorge
le jour où ils ont fermé le fleuve l’autoroute la passe
parce que la tempête a dévoré l’air avec le ciel et la terre
les gens dans l’oubli de la chance qu’ils ont
du peu de souffles
des métastases
un reste de néons, deux lettres manquantes
trois lettres pulsées grésillant une prière
Tu gèles, tu gèles, tu brûles
je t’écris je glisse la main au-dessus du calorifère
du petit poêle contre la tasse de thé
entre mes jambes
comment si peu nous fait encore vivre?
je t’écris le souvenir d’un lit chaud
même la chaleur sentait l’amour
avant de t’écrire il y a eu l’été, l’amour la pluie légère
contre la tôle
les draps qui sentaient la pluie
ton corps qui sentait la pluie
nos corps mouillés pluies et promesses
Ici, l’hiver enivre et rappelle les anciennes passions. Ailleurs, il rappelle les morts, l’horreur, ensevelis de fausses neiges, de pluies de cendres.
La poésie de Kateri Lemmens nous permet de prendre le pouls des tourmentes qui passent, de nos « relevailles », de fin du monde en fin du monde. On s’y croirait au cœur d’une nouvelle saison, une saison ressuscitée, pleine d’échos et étirée sur de longs siècles, mais aussi incroyablement courte et mortelle comme une première neige.
Passer l’hiver est un recueil d’une grande beauté, tout en brillance, avec un goût d’avalanche, du poids de la neige qui dévale, gagne en vitesse et nous enfouit sous les questions que nous oublions parfois de nous poser sur le sens de nos voyages, de nos amours, de nos pertes et de nos vies.
Avec des mots qui refusent de mourir gelés, qui s’inventent allumettes pour continuer de brûler, d’éclairer au cœur de la tempête.
tu me reconnaîtras
je n’aurai pas appris à souffrir assez
ou assez bien
mais
je serai là
comme si le dernier oiseau du monde allait chanter
au bout de la lumière
dans la suture entre la lumière et le temps
c’est de là que je t’écris
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