Récits de survivantes et d’endeuillées
La vie n’est pas tendre pour les personnages de Camille dans le récit poétique Dis Merci et de Dolores dans le roman Après Céleste, qui doivent traverser des épreuves bouleversantes : le cancer pour la première, la perte d’un enfant pour la seconde.
Mais elles renoueront avec l’espoir, avec le beau, avec la vie, si fragile soit-elle.
Deux livres qui se tiennent d’abord au bord du gouffre qui menace d’avaler les héroïnes, pour ensuite les entraîner sur le chemin de la rémission.
Après Céleste, avant la forêt
L’histoire du roman de Maude Nepveu-Villeneuve commence par la fuite de Dolores, qui se réfugie à Moreau dans la maison de ses parents pendant que ces derniers sont partis en voyage. À la suite d’une troisième grossesse interrompue, la jeune femme cruellement éprouvée ressent le besoin de retrouver le foyer de son enfance et de s’y confiner, sans avertir son copain, duquel elle se sent de plus en plus distante. Mais en voulant se perdre dans cette forêt de souvenirs, la véritable forêt, elle, finira par la rattraper, investissant peu à peu son sous-sol.
Durant son séjour, en plus de cette intrusion sylvestre se tramant dans son placard, Dolores devra s’occuper d’autres êtres aux ailes cassées : sa voisine madame Labelle avec ses béquilles, la jeune Olivia, orpheline de mère, et une paruline blessée nommée Madeline, qui leur apprendra avec douceur le lent processus de guérison avant de pouvoir s’envoler à nouveau.
« Cette petite chose vivante, fragile et vulnérable et malade, avait besoin de moi pour la protéger et, pour une fois, je serais à la hauteur. »
« Personne n’a envie d’entendre ces histoires-là, et tout le monde se détourne ou change de sujet dès qu’on les effleure. Le silence des autres et peut-être pire encore que la perte. »
Une des forces de ce livre est d’ailleurs de parler de ce tabou féminin, difficilement abordé dans le quotidien. Parmi les passages qui m’ont le plus touchée, ceux où la violence et la froideur obstétricale sont dénoncées, alors que la jeune femme en train de faire une fausse-couche est traitée comme une simple patiente atteinte d’un rhume à laquelle on demande de retourner être malade chez elle. Ici, nous ne pouvons même pas nous consoler en nous disant qu’il s’agit seulement d’une fiction, car, malheureusement, cette situation arrive réellement. Le roman de Maude Nepveu-Villeneuve appuie là où ça fait encore mal : la difficulté de vivre cette épreuve dans une quasi-solitude dans une société qui garde le silence sur plusieurs éléments du deuil périnatal.
Finalement, Dolores prendra conscience qu’il existe autour d’elle une forme de sororité bienveillante « dont les membres se reconnaissent entre elles sans pourtant se connaître ». En elle, quelque chose se dénoue.
Un livre délicat, avec des touches de réalisme magique, qui illustre le passage des différentes étapes du deuil jusqu’à l’acceptation. Parler de sa perte devient alors possible afin de conserver ses moments si précieux et si peu nombreux avec l’enfant que le couple avait prénommé Céleste, pour lui permettre de « s’envoler au plus vite ».
« Il me semble que chaque fois que je raconte un souvenir, il devient un peu plus récit et un peu moins mémoire, et que tout ce qui ne se raconte pas, les sons, les sensations, tout cela disparait progressivement au profit des mots, jusqu’à ce que tout ce que je finisse par me rappeler soit le récit du souvenir, et non le souvenir lui-même. J’ai peur de raconter Céleste, son existence courte, les petites caresses qu’elle faisait dans mon ventre comme les ailes d’un papillon, sa naissance et sa mort emmêlées, j’ai peur qu’elle disparaisse une seconde fois dans les mots. […] J’ai oublié tant de choses en essayant de transformer ma vie en un tout cohérent. Je ne peux pas oublier celle-là, je ne me le pardonnerai pas. »
Dire merci et se tenir droite même quand tout va « croche »
« un si petit mot
pour des mois de douleurle mot est si petit
tu le prendrais dans ta main
pour lui flatter les cheveux
lui fredonner une berceusela peur de maman tient pas
[…]
dans un mot si petittumeur
tu meurs
on t’annonce que
tu vas mourirc’est ça? »
« serait-elle une enfant
à l’intérieur de toi
qui se heurte aux murs de ta coque
une enfant
qui veut sortirtu te sens te multiplier en poupées russes
toutes plus laides et malades
il y a toi dans toi dans toi »
Avant qu’on l’ouvre « comme une peluche » pour l’opérer, Camille nous entraîne dans son épreuve, les examens médicaux et les traitements reçus, qui lui donnent l’impression de vieillir en accéléré. Jusqu’à ce qu’elle soit adulte et revisite son corps et sa cicatrice, cette partie d’elle habituée à la souffrance, aux organes à vifs, à la recherche de diagnostics.
Écrit au « tu », comme pour se détacher afin de se réexaminer soi-même, le récit en vers emprunte un point de vue particulièrement touchant, franc, unique et vibrant. Il contraste avec le climat plutôt mortifère régnant dans les couloirs et les chambres d’hôpital. Émergeant des couvertures et des anesthésiants, la parole de la narratrice reste vive. Elle nous partage avec un ton bien senti les conséquences de la maladie affectant tout son entourage et l’enfance qui lui « glisse entre les doigts ». Maigre et absurde consolation à toute cette horreur : entourée par « une gang de médecins plus cools que les autres » qui s’intéressent à son cas, la jeune fille en jaquette d’hôpital deviendra enfin « populaire ».
Un livre plein d’émotions qui nous fait sentir, au fil des vers et des cathéters, l’écoulement des comptes à rebours médicaux, rythmant l’attente impossible des parents et des enfants malades. Une belle leçon de force et de courage offerte par tous les petits combattants, comme Camille, au cœur tellement grand qu’elle voudrait s’« excuser d’être défectueuse ».
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Maude Nepveu-Villeneuve, Après Céleste, Éditions de Ta mère, 2021.
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