Tous les livres sauf un
Dans son Autopsie de Charles Amand, Claude La Charité nous entraîne avec un plaisir contagieux sur les lieux mêmes du premier « sortilège » qui scella les débuts de notre littérature. C’est-à-dire que son Autopsie se veut la suite du premier roman québécois, L’influence d’un livre, que nous a donné Philippe Aubert de Gaspé fils en 1837: une histoire de chercheur d’or qui « vivait dans ses livres », de ses lectures pas trop catholiques et de pacte avec le diable. Ce faisant, l’auteur contemporain réinvente les traces de l’écrivain et de son père, Philippe Aubert de Gaspé, ainsi « poursuivis » dans sa trame fictionnelle, les faisant participer à son enquête.
Les véritables légendes et les romans historiques peuvent ainsi cohabiter harmonieusement au sein de cette fiction nourrie d’intrigues policières et livresques.
Redorer les pépites du passé
Tandis que son personnage de M. T. L. B*** cherche à résoudre le mystère de la mort du pauvre alchimiste retrouvé dans les ruines carbonisées de sa demeure, Claude La Charité en profite pour défricher quelques arpents de nos œuvres du terroir ainsi que le courant des romans gothiques, afin d’y semer une nouvelle proposition littéraire.
Comme l’auteur le note en préface :
« Cette fiction se veut une invitation à redécouvrir l’histoire de la littérature québécoise qui, loin de se restreindre au roman du terroir ou aux contes et légendes, est un labyrinthe aux compartiments cachés, à double et triple fonds, qui fait de la présente œuvre une sorte de roman-gigogne : un peu roman policier, un peu roman historique, beaucoup roman à clefs. »
Par des allusions bien placées ou des impli-citations savamment intégrées dans le texte, nous sont ainsi rappelés des livres comme Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon, Trente arpents de Ringuet, les contes de Louis Fréchette, et bien d’autres. De la sorte, cette réécriture permet, sur plus d’un plan(t), de faire germer du sens et des fruits nouveaux.
Les sortilèges de la fiction
« Il ne subsistait de Charles Amand que des fragments dans les souvenirs de ses contemporains. Des paillettes d’or qui laissaient entrevoir un gisement que personne n’avait soupçonné. L’orpailleur aurait aimé la comparaison. Sans doute est-ce le lot de tous, morts comme vivants, d’être ondoyants et divers, plus fuyants que le sable entre les doigts. Au reste, à mesure qu’il lisait L’influence d’un livre, cette impression se renforçait. Au Charles Amand en chair et en os s’en ajoutait un autre, son double romanesque, au point que l’enquêteur se demandait s’il avait bien existé ou s’il n’était qu’un être de papier.»
Sequel croisant l’affabulation, l’analyse littéraire et quelques notes historiques, l’Autopsie de Charles Amand est menée jusqu’au vertige borgésien parmi les bibliothèques de ces anciens Canadiens où se côtoient le Dictionnaire des merveilles de la nature et Le Petit Albert.
En donnant une suite possible au premier roman québécois, suite qui résout même de manière inventive certaines énigmes laissées en suspens dans cette œuvre originale à double fond, l’auteur-alchimiste nous fait découvrir l’héritage et les trésors du passé, tout en nous montrant le statut singulier des livres « influents », ceux qui sont toujours lus après des siècles et qui se faufilent encore dans nos quotidiens, leur donnant une présence parfois plus « réelle » que celles des êtres de fiction que nous sommes les uns pour les autres. Une transmutation de plus que le roman de La Charité met à jour!
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Claude La Charité, Autopsie de Charles Amand, L'instant même, 2021.
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