Restaurer la lumière
« [J]’ai besoin de couleurs vives d’épices de voyages je tente de combattre la grisaille la monotonie l’orange en overdose les parfums grisants l’alcool
Un cocktail pour oublier les morts. »
Sans ponctuation ni ordre temporel précis, les fragments ainsi assemblés mettent de l’avant l’éclatement de cette vie-vitrail ainsi que « les contrastes entre les couleurs claires foncées parfois néon des bleus des verts des mauves de l’orangé du rouge du jaune de la vie ». S’y chevauchent des périodes particulièrement vivantes, et d’autres plus lentes, plus réflexives.
Parfois, à l’instar de l’effet papillon, le mouvement d’une cuillère de bois dans un bol réveille le souvenir d’une tragédie et amène la narratrice à réfléchir à l’état chaotique de notre planète.
« nous observons le fouet transformer le mélange on dirait une danse s’émerveille mon fils nous ajoutons le lait tiède les ingrédients secs avant de verser dans le moule « cuire une quarantaine de minutes » le temps que la France a mis pour basculer dans l’horreur le temps que les images du drame ont pris pour faire le tour du globe les rues de Paris du Stade de France au Bataclan plus tard le Nigéria et Ouagadougou […] je constate que le monde tourne moins rond que sa cuillère la violence la peur l’humanité battue à grands coups de fouet mon espoir suit le mouvement de la pâte qui palpite dans le four gonfle et se dégonfle »
Dans cet extrait original, l’autrice a le don de rapprocher et de souder ensemble des éléments aussi éloignés que la confection d’un gâteau et un attentat terroriste, en éclairant autrement le besoin de douceur dans notre monde.
Soulignons aussi la force de certains passages touchant à la perte d’un proche et au suicide. L’écriture fragmentée et elliptique rend bien la souffrance de la narratrice endeuillée, elle qui a « l’habitude de taire ce qui est douloureux ce qui ne se montre pas. »
D’autres font du vitrail s’accroche ainsi à des images de résilience pour nous montrer que les traces de nos disparus continuent de briller en nous, et qu’« il faut parfois de la noirceur pour distinguer la lumière
pour que la magie opère. »
Une lecture sensible à la beauté et ouverte sur le monde!
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Isabelle Dionne, D'autres font du vitrail, Hamac, 2022.
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