D'autres font du vitrail

« D’autres font du vitrail » d’Isabelle Dionne

Restaurer la lumière

Dans son premier livre, D’autres font du vitrail, Isabelle Dionne nous présente une quarantaine de textes qui deviennent, chacun à leur façon, une fenêtre par laquelle elle observe le monde. Qu’il s’agisse de raconter un souvenir de voyage, une anecdote de famille ou d’enseignement, la narratrice découpe ses sujets comme des morceaux de verre colorés par ses émotions. Le gris d’un matin froid, le vert des jardins, le rouge des ratures sur les copies d’étudiants, la peau blanche de l’enfant à soigner ; on y passe par toutes les couleurs, celles de la grande « palette » de l’existence, des nuances discrètes jusqu’aux teintes les plus éclatantes.

« [J]’ai besoin de couleurs vives d’épices de voyages je tente de combattre la grisaille la monotonie l’orange en overdose les parfums grisants l’alcool
Un cocktail pour oublier les morts. »

Isabelle Dionne

Sans ponctuation ni ordre temporel précis, les fragments ainsi assemblés mettent de l’avant l’éclatement de cette vie-vitrail ainsi que « les contrastes entre les couleurs claires foncées parfois néon des bleus des verts des mauves de l’orangé du rouge du jaune de la vie ». S’y chevauchent des périodes particulièrement vivantes, et d’autres plus lentes, plus réflexives.

Parfois, à l’instar de l’effet papillon, le mouvement d’une cuillère de bois dans un bol  réveille le souvenir d’une tragédie et amène la narratrice à réfléchir à l’état chaotique de notre planète.

« nous observons le fouet transformer le mélange on dirait une danse s’émerveille mon fils nous ajoutons le lait tiède les ingrédients secs avant de verser dans le moule « cuire une quarantaine de minutes » le temps que la France a mis pour basculer dans l’horreur le temps que les images du drame ont pris pour faire le tour du globe les rues de Paris du Stade de France au Bataclan plus tard le Nigéria et Ouagadougou […] je constate que le monde tourne moins rond que sa cuillère la violence la peur l’humanité battue à grands coups de fouet mon espoir suit le mouvement de la pâte qui palpite dans le four gonfle et se dégonfle »
Isabelle Dionne

Dans cet extrait original, l’autrice a le don de rapprocher et de souder ensemble des éléments aussi éloignés que la confection d’un gâteau et un attentat terroriste, en éclairant autrement le besoin de douceur dans notre monde.

Soulignons aussi la force de certains passages touchant à la perte d’un proche et au suicide. L’écriture fragmentée et elliptique rend bien la souffrance de la narratrice endeuillée, elle qui a « l’habitude de taire ce qui est douloureux ce qui ne se montre pas. »

D’autres font du vitrail s’accroche ainsi à des images de résilience pour nous montrer que les traces de nos disparus continuent de briller en nous, et qu’« il faut parfois de la noirceur pour distinguer la lumière

pour que la magie opère. »

Une lecture sensible à la beauté et ouverte sur le monde!

*

Isabelle Dionne, D'autres font du vitrail, Hamac, 2022.

Marise Belletête
Écrivaine, dessinatrice, passionnée des mots

Image

Pour me suivre

Partager cet article