Le chant noir qui sauve
Dès les premières lignes du cinquième roman de Sébastien Chabot, le narrateur recense les images sanglantes d’un cauchemar puis les animaux écrasés sur l’autoroute. Le lecteur devine que l’histoire de Noir métal fait plus de place aux ombres, à la saleté et à l’abject qu’au calme et à l’esprit chaleureux d’un petit village de région. Ce qui se déroule à Sainte-Florence, ou plutôt dans cette version nordique et dystopique du village natal de l’auteur, est assez hallucinant et horrifiant : rumeurs de messes noires et de cultes sataniques, attaques d’animaux mutants, sacrifices, multiples sévices physiques et sexuels subis par les habitants, etc. Voilà que les racines du mal poussent impunément dans la vallée de la Matapédia et son paysage assombri au possible.
En l’espace de quelques jours, l’équilibre – si on peut ici parler d’équilibre – du village entier sera bouleversé par le retour du fils Andersen, fraichement sorti du centre jeunesse. Ce dernier cache de sombres desseins de vengeance, destinés aux responsables de ses traumas.
Flore et faune florenciennes
À ses côtés et à ses trousses, nous découvrons aussi l’inspecteur Chabå, puis la petite Eva, une espèce d’Aurore mal engueulée et exploitée par une mère mal-aimante et abusive. Ce trio ressort du reste de la communauté, asservie par un dénommé Général Knut Sebastiansen, patron mégalomane de l’usine de pelles Internationellt Skovlar. Ce dernier contrôle les médias, la police et se prend même pour un dieu. Terrorisés par cet homme et le pouvoir qu’il exerce sur chacun, la plupart des gens respectent la loi du silence. Mais viendra un moment où certains refuseront de jouer les victimes. Et celles qui ne veulent plus se faire avoir devront apprendre à mordre.
Dans Noir métal, c’est d’ailleurs surtout le personnage d’Eva, « tout en cheveux fous et en gestes brusques », qui m’a séduite par sa force de caractère et sa verve de tragédienne trash. Elle possède un courage et un instinct de survie incroyable. « Ma vie, c’est comme si j’épluchais des oignons avec mes yeux », lance-t-elle sans s’apitoyer pour autant sur son sort et son vocabulaire, tout aussi magané que le reste.
Une autre grande qualité de ce roman tient à la force d’évocation des descriptions, jamais inutiles. Le romancier campe habilement l’atmosphère des lieux, où la nuit se « pose comme une soie sur les poubelles ». (On remarquera le choix du style hyper léché pour aborder les sujets les plus répugnants.) Il réussit ainsi à créer des scènes réalistes, qui basculent en un rien de temps vers le cauchemardesque.
« Il leva son chandail et observa sa peau blanche. À la hauteur de ses reins, il aperçut un trou rouge. Il se pencha. Il plaça un doigt dans le trou. La peau s’étira. Un organe palpitait à l’intérieur, sous une membrane. Une vie autonome pulsait pleine de sang. La membrane se fendit. Il enleva son doigt. L’organe se détacha d’un tuyau et perça un filet de nerfs blancs. Puis, il sortit par le trou, tomba par terre et glissa et déroula une trace de bave, jusqu’en dessous d’une armoire. Sebastian gratta ses reins, gratta encore. De la peau sous les ongles. »
Des larmes de métal
« Il pousse un premier cri de douleur. Un cri aigu retenu dans la gorge, s’épuisant durant de longues secondes et qui, à la manière d’un décapant, soulève le vernis et les apparences posées sur les objets. […] les cris, le souffle, les mots, la mélodie se fondent dans la douleur indicible. […] Quelle que soit la voix qui monte dans sa gorge, ce n’est plus la sienne. Il sculpte dans la matière brute des harmonies qui montent tantôt dans les stridences d’une scie ronde, tantôt dans les chuchotements d’enfants conspirateurs. Les auditeurs dans les lueurs des cierges traversés par le chant a capella écoutent les yeux fermés. Un rythme de plus bat dans leur cœur. »
Noir métal est une histoire de manipulation, de malédiction et d’une recherche de libération, si ce n’est de rédemption.
Partout, l’auteur nous y fait entendre la « vie qui grouille dans ce qui meurt », malgré tout.
Comme les cris de souffrance de ceux qui n’ont d’autre choix que de se sauver eux-mêmes.
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